Entre mars et juillet 2022, la Voix des Femmes a effectué une série d’animations dans un centre de demandeuses et demandeurs d’asile de la province du Luxembourg. Cette série d’animations a répondu à la demande des assistantes sociales du centre qui recherchaient des activités pour leur « espace-femmes ». Elles voulaient des animations qui permettent aux femmes de parler de leurs expériences de vie et de leurs souffrances et aborder notamment la question des violences. Les femmes de ce centre, originaires pour la plupart des continents asiatique et africain, vivent des situations difficiles : stress quant à leurs démarches dans le but d’obtenir leur titre de séjour (beaucoup sont là depuis 3 ans…sans pouvoir se projeter dans l’avenir), difficultés liées au vivre-ensemble au sein du centre, angoisses liées à la situation de la famille et des enfants restés au pays et bien entendu les troubles psychologiques liés aux raisons de la fuite du pays. Ces femmes demandeuses d’asile avaient donc besoin de se retrouver dans un espace où elles pouvaient s’exprimer dans un climat de confiance, afin, d’une part, d’oublier le temps d’une animation leurs problèmes quotidiens et d’autre part, d’échanger avec les autres femmes sur différents sujets liés essentiellement à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Afin de mener à bien ces animations, nous avons proposé aux participantes différents outils : photolangage, dessins et collages, débats, témoignages, exercices de relaxation et lectures. Nous avons autant que possible privilégié une approche de co-élaboration des contenus avec les participantes placées au centre des discussions. Ainsi, lors de la première séance, dans le but d’élaborer le programme futur, nous avons proposé un photolangage. Celui-ci a permis de faire émerger leurs intérêts : les questions de maternité, de soins des personnes âgées, connaître mieux la Belgique, son histoire et son fonctionnement, les mariages forcés, les questions d’inégalités entre les hommes et les femmes, les violences à l’égard des femmes et des droits des femmes. Cette première discussion s’est déroulée dans la bonne humeur. Nous avons pu faire connaissance et instaurer au sein du groupe un climat de confiance, primordial pour fidéliser le groupe et continuer les échanges lors des animations futures.

Lors de la deuxième animation, nous avons voulu connaître davantage les participantes. Leur vie, leurs histoires, leurs passions, leurs rêves, leurs espoirs, tout ce qu’elles désiraient nous dire d’elles. Les participantes ont dessiné et réalisé des collages dans le but de se présenter de manière créative. Toutes ont vécu des drames, mais toutes ont des ambitions dans leur avenir proche. L’une souhaite trouver un travail, une autre commencer une formation. Certaines veulent fonder une famille quand leur situation sera régularisée, tandis que d’autres déjà mariées rêvent d’habiter dans une petite maison avec un jardin pour que leurs enfants puissent y jouer. Là où certaines sont passionnées de courses de voiture, d’autres veulent s’initier à la boxe ou aux sports de défense. Dans la dernière partie de l’animation, chaque participante a pris la parole pour présenter leur affiche personnelle. Avec beaucoup d’humour souvent et de pudeur, elles ont parlé spontanément des moments difficiles, parfois terribles, qu’elles ont vécu.

Lors de la troisième séance, nous avons abordé la thématique des droits. Ce thème est très important pour les participantes, car si toutes sont aujourd’hui en Belgique, c’est justement parce que leurs droits ont été bafoués d’une manière ou d’une autre. Elles ont évoqué les droits dont elles ont été privées : celui de choisir leur conjoint (plusieurs ont été victimes de mariage forcé ou se sont enfouies de la maison pour pouvoir épouser une personne rejetée par le reste de la famille). Elles ont également évoqué le droit de disposer de leur corps, car pour beaucoup, elles ne peuvent pas s’habiller, se coiffer ou se maquiller comme elles le souhaitent. Une autre a abordé le droit à la contraception, inexistante dans son pays où l’on impose à la femme des grossesses multiples. Les témoignages ont été très prenants et les participantes se sont entièrement livrées dans le respect mutuel.

Lors de la quatrième animation, nous nous sommes concentrées sur la thématique des violences contre les femmes et les filles. Plusieurs femmes ont expliqué des situations vécues terriblement difficiles en cas de guerre et de conflit. Qu’elles soient originaires du Cameroun ou du Kurdistan irakien, les viols par les militaires sont fréquents. Plusieurs femmes ont expliqué avoir risqué leur vie sur le chemin de l’exil (naufrage en mer, tentatives de viols). L’une d’elle a avoué avoir fui le pays pour empêcher qu’on ne pratique l’excision sur sa fille. L’ayant vécu elle-même, elle ne voulait pas que sa fille soit mutilée de la même manière, car la souffrance physique et psychologique liée à cette pratique est terrible.  D’autres ont parlé des discriminations imposées par les hommes de leur famille. Comme ce sont des femmes, elles doivent se taire, ne pas contredire l’homme, qu’il soit père, mari ou frère. Pour la même raison, elles doivent accepter la place assignée à la maison, essentiellement à la cuisine et accomplir les tâches comme le ménage et la vaisselle. Comme ce sont des femmes, elles doivent accepter toute relation sexuelle, y compris celles dont elles ne veulent pas et assumer le rôle de mère parfois dès l’adolescence. Elles ne veulent pas rester à la maison sous l’autorité arbitraire d’un homme. Elles veulent être libres, faire des études, travailler. Deux femmes nous ont raconté l’impossibilité d’avorter alors qu’elles ne voulaient pas d’un autre enfant. Pour elles, ce sont là des violences auxquelles il faut mettre fin.

La discussion s’est par la suite portée sur le cycle de la violence au sein du couple. Qu’est-ce qui relève de la violence ou d’une simple dispute ? Qu’est-ce qui caractérise la violence ? Plusieurs participantes se sont livrées sur leurs histoires et ont pu illustrer de cette manière ce qu’est le cycle de la violence (lune de miel, tension, explosion et justification/pardon). Bien que particulièrement difficile, cette animation a permis aux participantes de se livrer, de déposer ce qu’elles avaient sur le cœur depuis parfois de nombreuses années.

Enfin, durant la dernière animation, nous avons parlé de leur vécu au sein du centre. Autant de nationalités, de cultures, de langues et de traditions différentes dans un centre, même ouvert, ne peuvent se côtoyer sans quelques frictions. Les participantes expliquent être parfois victimes de racisme de la part des autres pensionnaires, de sexisme et de manque d’espace privé. Heureusement les participantes trouvent des solutions : s’échapper dans la forêt le temps d’une balade, s’isoler en écoutant de la musique, prendre le temps de se maquiller et de se faire belle, prendre le bus pour aller au marché et boire un thé en ville. L’une d’elle est en troisième année d’infirmerie à la haute école de la région, ce qui lui permet d’échapper au quotidien du centre et d’envisager l’avenir de manière constructive. Enfin, nous avons terminé cette dernière séance par quelques lectures de contes détournés humoristiques et se jouant des stéréotypes sexistes[1] et une séance de relaxation. Ces quelques moments d’échanges étaient très riches en émotions. Ces femmes demandeuses d’asile, toujours très dignes, se sont très souvent livrées au groupe de manière authentique sur des sujets sensibles et personnels. Nous les avons écoutées dans un espace où elles se sentaient libres et elles ont pu surpasser leur timidité et leur crainte. Au-delà des différences de cultures et de nationalités, les femmes se sont rendu compte qu’elles partageaient beaucoup de souffrances et de joies en commun. Elles ont compris qu’elles n’étaient pas seules et qu’elles étaient fortes. Nous avons été fort touchées par leur confiance et leur sourire en toute circonstance…


[1] Munsch Robert et Martchenko Michael, La Princesse et le dragon, éd. Talents Hauts, 2020 ; Barbanège Raphaëlle, Blanche-Neige et les 77 nains, éd. Talents Hauts, 2018.

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