Femmes ukrainiennes en exil : événement public organisé par La Voix des Femmes
Le jeudi 15 décembre 2022 dernier, La Voix des Femmes a organisé une conférence à la maison Amazone sur la problématique des femmes ukrainiennes fuyant la guerre et sur leur parcours d’intégration en Belgique. Le but de cette conférence était de présenter leurs difficultés et leurs besoins. Outre celle de Mme Maria Miguel Sierra, directrice de notre ASBL, nous avons pu compter sur les interventions de Mme Anna Yavorska (coordinatrice du point infos Ukraine auprès de Caritas International), de Mme Agnieszka Sità (psychologue auprès de l’ASBL Elles pour Elles) et enfin de Mme Larysa Oksenshuk, journaliste ukrainienne réfugiée en Belgique et participante aux activités de La Voix des Femmes.
Après une introduction présentant le rôle de notre ASBL au profit des femmes ukrainiennes en Belgique, grâce au soutien de la secrétaire d’état chargée de l’égalité des chances Mme Nawal Ben Hamou, une première caractéristique de cette migration a été posée sur base de la pratique quotidienne de notre ASBL : il s’agit surtout d’une migration féminine. Ce sont en effet surtout les femmes qui ont fui leur pays, avec leurs enfants et parfois des membres plus âgé.e.s de leur famille, qui demandent l’asile en Belgique, tandis que leurs hommes sont la plupart du temps restés au pays pour se battre.
La parole a tout d’abord été donnée à Mme Anna Yavorska. Assez émue, la coordinatrice du point info Ukraine de Caritas International a commencé par lire des témoignages originaux qu’elle a entendus de ces réfugiées : de manière non exhaustive citons des explosions de bombes, la perte d’un mari ou d’un membre de la famille, des viols commis par l’ennemi, des abandons d’emplois. Des caractéristiques de la situation de ces réfugiées ukrainiennes ont été données. Bien qu’étant en Belgique et en sécurité, elles sont en état de stress permanent à cause de leurs démarches administratives liées à leur statut mais aussi à cause de l’inquiétude qu’elles éprouvent pour leurs proches resté.e.s au pays. Par ailleurs, elles sont tiraillées entre le désir de vouloir s’intégrer en Belgique, y apprendre la langue et y trouver un emploi, et le désir de retourner au pays, retrouver leur vie et leur famille.
Pour beaucoup de ces femmes, se retrouver en Belgique est très difficile car elles doivent tout réapprendre et reconstruire entièrement leur vie. Cela est encore plus dur pour certaines personnes qui étaient déjà retraitées en Ukraine et qui ont perdu tous leurs repères. Une autre caractéristique de cette migration est la solidarité entre réfugié.e.s. La communauté ukrainienne est particulièrement active sur les réseaux sociaux : les femmes s’y rencontrent, y partagent des informations importantes et y dirigent les personnes vers les services nécessaires. C’est également à travers les réseaux sociaux que les réfugiées ukrainiennes gardent contact et soutiennent la famille et les amis restés en Ukraine. Enfin, il faut noter que les femmes ukrainiennes sont également très actives dans l’organisation et l’envoi de l’aide humanitaire. Elles préparent l’envoi de colis alimentaires, de vêtements chauds, de chaufferettes et de matériels pour les soldats comme des filets de camouflage.
La parole a ensuite été donnée à Mme Agnieszka Sità, psychologue de l’association « Elles pour Elles » active à l’origine dans le suivi psychologique et juridique des femmes polonaises victimes de violence ou en demande d’aide. Depuis le début de la guerre en Ukraine, cette association a également ouvert ses consultations aux femmes ukrainiennes pour les aider. « Elles pour Elles » propose depuis peu une ligne d’écoute psychologique pour les femmes ukrainiennes, où elles peuvent s’exprimer en ukrainien ou en polonais.
Par la suite, la parole a été donnée à la dernière intervenante, Mme Larysa Oksenshuk. Mme Oksenchuk était journaliste pour une radio dans son pays d’origine et s’est retrouvée en Belgique comme réfugiée. Elle participe activement aux activités de la Voix des Femmes. Avec l’aide de Séverine, animatrice à la Voix des Femmes, Larysa a discuté à plusieurs reprises avec un groupe d’ukrainiennes des problèmes qu’elles rencontrent dans leur parcours d’intégration et qu’elles souhaitaient partager lors de cette conférence. Ces problèmes sont de différentes natures :
- En matière de logement : les femmes ukrainiennes hébergées par des familles belges éprouvent énormément de difficultés à trouver un autre logement. Les raisons sont multiples : elles ne peuvent pas fournir de contrat de travail, ont un animal de compagnie ou ont trop d’enfants. Les propriétaires craignent également de leur louer un bien, car elles sont susceptibles de rentrer dès que possible en Ukraine. Il est à noter hélas quelques cas de harcèlement de femmes hébergées par des belges, ou exploitées domestiquement.
- En matière d’éducation et de travail : les femmes ukrainiennes sont souvent très formées et diplômées. Obtenir une équivalence de diplôme prend beaucoup de temps et leur est souvent impossible, car elles sont souvent parties en catastrophe de chez elles sans avoir emporté leurs diplômes. Beaucoup de femmes sont prêtes à faire n’importe quel travail si nécessaire pour subvenir aux besoins de leur famille. Psychologiquement, cela est dur car elles se retrouvent à faire le ménage alors qu’elles avaient un poste plus prestigieux et souvent bien mieux rémunéré en Ukraine, poste qu’elles ont dû abandonner pour fuir le conflit. À noter que dans de rares cas, certaines femmes ukrainiennes qui travaillaient dans une entreprise internationale ont pu être réengagées dans une filiale belge.
- Les femmes ukrainiennes doivent s’assurer de la scolarisation de leurs enfants. Les choses ne sont pas simples car beaucoup de jeunes se retrouvent dans une classe francophone sans pouvoir comprendre la matière ou communiquer avec leurs camarades. Les mamans ukrainiennes doivent donc aider leurs enfants dans leur scolarité belge, mais également ukrainienne. En effet, le gouvernement ukrainien a mis en place un système d’éducation en ligne ou les ukrainiens réfugiés dans d’autres pays peuvent continuer à suivre leur propre enseignement. Il est évident que les enfants ukrainiens sont particulièrement mis sous pression par ce double système d’apprentissage, ce qui affecte leurs mères qui se retrouvent à devenir en plus psychologues.
- En matière de santé mentale et de violences : En général, les femmes ne se plaignent pas de la qualité des soins médicaux qu’elles reçoivent en Belgique. Elles notent juste la barrière de la langue et la difficulté de se faire comprendre. Le plus inquiétant reste la question de la santé mentale. Beaucoup de femmes ont vécu des traumas en fuyant le pays, liés à la guerre et à des décès de proches. Elles sont en permanence stressées par la situation, ce qui les fatigue psychologiquement. Par ailleurs, on note des cas de violences conjugales. Certaines femmes ont fui l’Ukraine accompagnées de leurs maris. Déjà violents en Ukraine, l’exil a exacerbé les tensions. Malheureusement ce genre de situation est très difficile à déceler car pour beaucoup d’entre elles, parler de problèmes de couple est un signe de faiblesse. Beaucoup de femmes souffrent de cela en silence et peu prennent la décision de quitter un mari violent en exil avec des enfants.
Cette conférence s’est terminée sur un moment d’échange entre les intervenantes et le public. Différentes questions ont été posées, essentiellement sur le rôle de l’église orthodoxe dans le conflit, ainsi que sur les difficultés scolaires des jeunes ukrainiens et le manque de place en classe DASPA. À ce sujet, un beau-père voulant trouver une école adaptée à ses beaux-enfants ukrainiens a pu être réorienté par un service d’école des devoirs de la commune d’Ixelles présent à la conférence. Tisser des liens et être solidaires, voilà comment soutenir les femmes ukrainiennes en exil.