Projet mené avec des participant.e.s sans-papiers finalisé en théâtre d’ombres, et présenté à notre Journée portes ouvertes.
La Voix des Femmes organise chaque année diverses activités et projets dans le cadre de l’Education permanente avec les participant.e.s. Ces projets varient en fonction des groupes, des personnalités présentes et des sujets qu’ils/elles veulent aborder.
Une dizaine de sans-papiers, homme et femmes, ont participé à nos activités l’an dernier. Les profils étaient très différents, venant du Venezuela, de Colombie, du Maroc, d’Arménie, de Guinée…. Certains vivent en occupation, d’autres dans la famille ou seul.e.s mais toutes et tous ont vécu des expériences difficiles en Belgique et continuent à se battre et à espérer un jour pouvoir vivre légalement ici. L’ambiance dans le groupe était très bonne, les personnalités toutes très fortes et désireuses de partager leurs expériences.
Au fil des mois, ils/elles ont témoigné à de nombreuses reprises de leur vécu, de leurs peurs et de leurs espoirs. Des témoignages durs également, de violences parfois, dont ils sont victimes car vulnérables. Nous avons ri aussi, car ils/elles ont beaucoup d’humour. Ces échanges ont donné lieu à un projet que nous avons présenté publiquement fin juin.
Chacun.e a commencé par raconter et écrire des textes et à les partager dans le groupe. Nous avons beaucoup discuté. Ensuite, nous nous sommes demandé.e.s comment présenter les textes de manière plus créative. Mahdi avait dit lors d’un échange « nous sommes comme des ombres en Belgique. On n’existe pas ». Et l’idée du théâtre d’ombres est arrivée.
Chacun.e a créé son effigie pour illustrer son texte, avec quelques objets symboliques, tirés de leurs histoires. Puis, lors des répétitions, ils/elles ont appris à travailler les techniques du théâtre d’ombres et travailler en binôme : l’un.e disait son texte, l’autre manipulait les marionnettes.
Les participant.e.s ont présenté ce travail au public lors de la journée portes ouvertes de juin.
Voici quelques extraits des textes et quelques photos :
« Pourquoi je suis partie ?
Dans mon pays, la Guinée, les femmes ne sont pas bien traitées. Les filles ne vont pas souvent à l’école, elles n’ont pas cette chance. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire quand on est une fille, par exemple rouler à vélo, c’est pour les garçons. Puis il y a l’excision, les mariages précoces et forcés que les parents imposent aux petites filles et souvent de la violence avec le mari qui traumatise psychologiquement et physiquement sa femme durant toute sa vie… On ne te demande jamais ton avis quand tu es une femme. Tout le monde décide pour toi. J’ai voulu quitter tout cela, alors je suis partie en Belgique. »
D’autres sont venu.e.s pour trouver du travail, pour échapper à la violence familiale, ou encore en pensant faire des études.
Récits de l’arrivée en Belgique:
« Je suis arrivée : j’ai eu des chocs… J’ai trouvé la Belgique sale, et au marché, j’ai vu tous ces gens qui criaient ‘les tomates, les tomates‘… Je pensais que la Belgique était calme, j’imaginais les femmes pousser leur caddie tranquillement, et je me suis retrouvée dans le bruit, la foule… Mais le choc positif pour moi c’est que j’ai eu la chance d’être en Belgique pour les soins de santé quand je suis tombée gravement malade. Au Maroc, je n’aurais jamais été soignée comme ça. »
« La porte s’est refermée sur moi (au centre des demandes d’asile), c’était le jour le plus noir de toute ma vie : tous ces gens, les contrôles, les radios qu’on te fait au sous-sol, les policiers très costauds, on te prend les empreintes. Tout m’a fait peur. Il y avait des centaines de personnes qui attendaient le rouge ou le vert. Le vert, tu pars en centre et tu attends la décision de la Belgique. Le rouge, retour au pays, centre fermé. Certain.e.s ont été emmené.e.s avec les menottes, criaient. C’était tellement de stress dans cette salle. »
« Le jour où je suis arrivée en Belgique de l’aéroport d’abord, j’ai vu les gens qui couraient partout de gauche à droite. J’ai cru qu’il se passait quelque chose de grave et que les gens se sauvaient. Et moi qui avait fui de chez moi à cause du danger, j’étais paniquée et perdue. Alors j’ai demandé à un monsieur ce qu’il se passait ; il m’a répondu très gentiment que ces gens couraient pour ne pas rater leur programme, travail, école, rendez-vous. Ils partaient prendre le bus, le métro… »
« Le choc positif c’était la carte médicale, heureusement qu’on a ça quand on a un problème. Et puis j’ai rencontré plein de gens. J’ai été choqué par les gens qui dorment dans la rue,je ne pensais pas qu’il y avait tant de pauvreté ici. Et pour les sans-papiers, que c’est tellement facile de travailler au noir, même dans des entreprises officielles, des ambassades, des banques….mais pour les cours de langue, c’est de plus en plus difficile qu’on nous accepte… »
Certain.e.s ont eu la chance de croiser le chemin de personnes aimables qui les ont aidées. D’autres ont vu l’exploitation :
« La routine du sans-papiers, la souffrance tous les jours, l’exploitation, et parfois on te traite comme un chien. J’ai travaillé pendant 6 mois, pour 3 euros de l’heure. Quand j’ai parlé avec le patron d’une augmentation, il m’a dit : « tu travailles ou tu vas voir ailleurs !».
J’ai aussi entendu souvent « Tu oublies que tu n’as pas de papiers, alors boucle-la. » ou « Vous allez salir l’Europe, ta place est avec les vaches ! »
Les femmes sans-papiers sont particulièrement en danger :
« Une amie sans-papiers travaillait au noir, beaucoup d’heures, pour envoyer de l’argent au pays, parce que son frère était gravement malade. Elle était exploitée par son patron. Un jour, il lui a demandé de venir nettoyer sa maison et il a essayé de la toucher et elle a refusé. Alors il a commencé à la violenter, à s’énerver, à casser des choses. Elle a fui, elle n’a même pas eu le temps de prendre son sac. Il ne lui a jamais payé tout le travail qu’elle avait fait. »
Heureusement, certain.e.s ont l’occasion de trouver des activités qui leur permettent d’avancer, de se changer les idées et de continuer à apprendre et de se recréer un réseau social :
« Cette année j’ai appris à faire du vélo. Le vélo c’est une bonne expérience pour moi et aussi une chose très importante parce que moi, dans ma vie, je veux faire beaucoup de choses mais j’ai toujours peur ou j’hésite à commencer quelque chose de nouveau. Quand j’ai appris qu’il y avait des cours pour apprendre à rouler à vélo, j’ai hésité à m’inscrire puis j’ai dit pourquoi pas…, je vais essayer. J’ai commencé, la première séance était difficile. C’était normal c’était la première fois que je montais sur un vélo et chaque fois je me disais « non, ça ne marche pas ». Et maintenant, après 6 séances, j’ai commencé à faire des petits tours dans le quartier avec les voitures. Je ne le regrette pas, au contraire…c’était très spécial pour moi. »
Et surtout, les conditions de vie souvent difficiles ne les empêchent pas de continuer à imaginer leur vie future :
« Mon rêve : un jour, un projet de vie au Maroc, construire un centre pour loger les malades du cancer qui doivent aller à l’hôpital parce que quand tu habites loin, parfois tu dois dormir dans la rue. »
« Je veux que les femmes soient à égalité avec les hommes dans tous leurs droits. Les femmes sont des êtres humains, on les regarde comme des objets, comme quelque chose qui appartient aux autres, comme un morceau de viande. Elles ont le droit de voyager, il faut faire confiance aux femmes. Les femmes sont courageuses, elles se battent dans la vie tout le temps, elles sont fortes, elles sont cheffes de famille. Les femmes sont des lionnes. Vive les femmes ! »
Mais les conditions de vie en Belgique restent difficiles. Le manque de perspective, la précarité, l’exploitation fait que le rêve qui peut paraitre le plus simple pour nous reste toujours le plus fort :
«Recevoir les papiers, devenir un citoyen normal, pouvoir sortir dans la rue sans avoir peur. »
Merci à tous et toutes d’avoir partagé leur expérience et de s’être tant consacré.e.s à ce projet qui nous fait ouvrir les yeux sur leurs réalités.